• La peur des autres - C. André

    Résumé du thème de l’ouvrage

    Les auteurs sautent de plein pied dans leur sujet avec l’exemple d’une situation banale, vécue par chacun un jour ou l’autre, où l’anxiété représente un frein qui paralyse et engendre une souffrance subjective liée au regard et à l’évaluation supposée d’une autre personne, ou pire, d’un groupe de personnes. Cette peur des autres, les médecins et psychologues l’appellent "anxiété sociale". Elle va de la simple gêne quotidienne (trac ou timidité) à des formes plus graves, particulièrement douloureuses, qui sont proches de la pathologie.

    Des solutions existent et tel est précisément le but de l’ouvrage :
    - Explorer le monde passionnant des peurs sociales
    - En expliquer les causes et les mécanismes élémentaires
    - Indiquer à chacun les voies qu’il peut suivre pour s’en sortir...

    ... et d’ailleurs vous voilà d’emblée envoyé à un questionnaire vous permettant de mieux définir votre éventuelle peur des autres.

    Le livre comprend quatre parties.

     

    1 ERE PARTIE : NOS PEURS ET LEURS MANIFESTATIONS

    Virginie, Etienne, Claudine, Stéphane... les auteurs citent quelques exemples de situations sociales variées, dérangeantes. Ils précisent :

    Dans un sondage Ifop de 1993 sur "les peurs des Français", 51% environ des personnes interrogées mentionnent la crainte de parler en public. Il s’agit sans doute d’une des trois peurs les plus courantes chez les personnes ne présentant pas de troubles psychologiques particuliers avec celle des serpents et celle du vide !.

    Mais beaucoup d’autres situations sociales bien que plus discrètes et banales sont tout aussi gênantes car beaucoup plus quotidiennes  : certaines rencontres, certaines démarches, certains contextes s’avèrent ainsi selon les personnes et les moments déstabilisants et ce le plus souvent sans raison évidente. Le caractère absurde et irrationnel de ces moments d’anxiété sociale les rend particulièrement irritants aux yeux de ceux qui en sont victimes.

    Dans ses Confessions, Rousseau raconte : "Mille fois, durant mon apprentissage, et depuis, je suis sorti dans le dessein d’acheter quelque friandise. J’approche de la boutique d’un pâtissier, j’aperçois des femmes au comptoir ; je crois déjà les voir rire ....... Ma vue me fait mille illusions. Je prends tous ceux qui passent pour des gens de ma connaissance ; partout je suis intimidé, retenu par quelque obstacle ; mon désir croît avec ma honte, et je rentre enfin comme un sot, dévoré de convoitise, ayant dans ma poche de quoi la satisfaire et n’ayant osé rien acheter."

    Peu à peu, les médecins se sont intéressés au phénomène. Un grand psychiatre français du début du siècle, Pierre Janet, injustement éclipsé par Freud, décrivit le premier dès 1909 les "phobies et situations sociales" comme suit : "Le caractère essentiel qui se retrouve toujours dans ces phénomènes terrifiants, .....c’est le fait d’être en public, d’avoir à agir en public....Toutes ces phobies sont déterminées par la perception d’une situation sociale et par les sentiments auxquels elle donne naissance."

    Aujourd’hui, médecins et chercheurs s’efforcent d’expliquer de manière précise comment il se peut que, dans certaines situations sociales, nous nous sentions soudainement gênés et mal à l’aise, voire totalement bloqués, même si nous ne sommes pas vraiment timides.Tout un courant de travaux portant sur les situations les plus redoutées par les personnes phobiques sociales a permis de les classer en quatre grandes familles avec leurs caractéristiques, selon le tableau ci-joint.

    Type de situation sociale Exemple Exigence supposée de la situation Mécanisme
    Situation où il faut accomplir une prestation ou une performance sous le regard d’autrui Exposé en public, prise de parole en réunion.... Etre compétent (ou le paraître !) Peur d’échouer
    Situation d’échanges et de contact Faire la connaissance d’une personne inconnue, exprimer ses sentiments... Parler de soi-même Peur de l’intimité
    Situation où il faut s’affirmer Demander un service, critiquer... Exprimer son point de vue Peur des réactions d’autrui
    Situation où l’on est observé dans ses gestes quotidiens Travailler sous le regard de quelqu’un... Etre à l’aise (ou le paraître !) Peur du regard d’autrui

    Les auteurs développent ensuite de nombreux exemples relatifs à ce tableau et en tirent des caractéristiques complémentaires.

    1. Situation sociale où il faut accomplir une prestation ou une performance sous le regard d’autrui : Il est également possible de classer cette situation en deux familles :

    - Certaines personnes redoutent les situations interactives parce qu’elle craignent les propos critiques, agressifs, déstabilisants : entretiens d’embauche, débats,réunions,etc....
    - D’autres sont mal à l’aise dans des situations non interactives parce qu’il leur est difficile de se trouver seules face à un public silencieux ne montrant pas clairement ses réactions : conférences ou cours à donner, texte à lire... là on rejoint l’acteur, le musicien mais aussi le sportif et l’anxiété de performance. En 1992, avant de remporter la finale du quatre cents mètres féminin aux jeux Olympiques de Barcelone, Marie-Josée Perec vomit tripes et boyaux, comme avant chaque grande épreuve. On comprend alors peut-être mieux son comportement aux jeux de Sydney en l’an 2000 !.

    2. Situations d’échange et de contact

    Situations d’interaction où il n’y a ni performance ni prestation à réussir et où on est censé adopter une attitude active. La gêne est encore amplifiée lorsque l’échange à mener se déroule auprès d’une personne pour qui l’on éprouve des sentiments. La compréhension de l’anxiété qui peut surgir dans ce type d’interaction passe par la notion d’intimité. Le problème posé par la quantité d’intimité supportable et la durée possible de celle-ci recoupe dans bien des cas celui de l’anxiété de performance, mais ici, la performance attendue n’est pas clairement définie. Ce qui est en jeu ici, c’est finalement la peur de la "transparence" face aux regards des autres.

    3. Situations où il faut s’affirmer

    S’affirmer, c’est être capable de défendre ses droits, d’exprimer ses envies, ses besoins, ses opinions face à autrui. C’est savoir dire "non", savoir demander et savoir recevoir. La nécessité d’annoncer des nouvelles désagréables représente une variante de cette famille de situations. Le mécanisme est lié ici à la crainte de la réaction d’autrui.

    4. Situations où l’on est observé dans ses gestes quotidiens

    C’est le cas lorsqu’on doit accomplir un acte banal sous le regard d’autrui, sans que celui qui regarde soit en position de juge ou d’examinateur. Il n’y a donc ni nécessité d’une performance, ni retombées directes sur la relation avec autrui, ni jugement explicite de sa part. (ex. : passer devant une terrasse de café, écrire devant quelqu’un etc...)

    L’inconfort à être observé fait partie du monde animal : chez les mammifères, le regard fixe sur l’autre est une façon d’asseoir sa dominance. L’animal dominant fait baisser le regard du dominé ; si ce dernier refuse, il y a combat. On retrouve ce mécanisme dans les conflits de boîte de nuit. Le malaise que chacun de nous peut ressentir peut donc être considéré comme caractéristique de l’espèce humaine. Il ne devient problématique que si la situation est fortement redoutée et donc systématiquement évitée.

    Les situations, par ordre de fréquence, peuvent être figurées sous la forme d’une pyramide : la base, donc les situations pouvant entraîner de la crainte chez la plupart des personnes, est occupée par le premier groupe et chaque "étage" supplémentaire de la pyramide sous-entend que les étages en dessous sont aussi objets d’anxiété. Ainsi, la peur de se dévoiler implique presque toujours celle d’accomplir une prestation sous le regard d’un groupe (étage précédent) mais pas forcément celles de s’affirmer ou d’être observé. En revanche, si la crainte d’être observé est présente, on peut retrouver en général toutes les autres craintes.

    peur d’être observé
    peur de s’affirmer
    peur de se dévoiler
    peur d’échouer

    Toutes ces situations ont finalement quelque chose en commun : elles exposent au regard et au jugement de l’autre. Pour beaucoup de chercheurs, l’anxiété sociale est assimilable à une anxiété d’évaluation.

    L’anxiété sociale et le tumulte du corps

    Etymologiquement, tous les mots rattachés aux sentiments d’appréhension évoquent des symptômes d’ordre physique :

    Angoisse vient du latin angere : serrer
    Crainte dérive du latin tremere : trembler
    Peur provient du latin pavor : effroi, épouvante, avec l’idée d’un affaiblissement physique etc...

    Les symptômes ressentis sont infiniment variés : palpitations, tremblements, transpiration, tension des muscles, noeud dans l’estomac, bouche et gorge sèches, sensations de chaud et froid, rougissements, maux de tête, sensation de pression dans le crâne, impression d’évanouissement, envie de vomir ou d’aller à la selle etc.... Il n’est donc pas étonnant qu’un certain nombre d’anxieux sociaux soient persuadés que leur problème est d’ordre physique. Ils consultent un médecin, pratiquent examens de sang, électrocardiogrammes ou radiographies diverses, essaient des médicaments... sans grand résultat.

    Dans certains cas extrêmes, l’anxiété prend la forme de ce que l’on appelle une attaque de panique : la personne sent monter une sensation de perte de contrôle complète et peut redouter de mourir ou de devenir folle. On retrouve de telles attaques de panique en rapport avec une situation précise dans diverses phobies.

    Ces manifestations peuvent se répartir en deux groupes, selon qu’elles sont ou non perceptibles par l’entourage :
    - celles à caractère interne (palpitations, noeud dans l’estomac, etc ...)
    - celles révélant un état de malaise (rougissement, tremblements, etc...).
    -
    Entre les deux se situent des manifestations à caractère plutôt interne mais qui peuvent dans certaines circonstances devenir externes. (palpitations du pianiste qui appréhendera le tremblement...).

    Une fois ces manifestations physiques enclenchées, il s’avère difficile de les arrêter. Au contraire, les efforts accomplis dans ce but peuvent aggraver encore la situation par différents mécanismes  : le fait de se focaliser sur ces symptômes les amplifie, la gêne ressentie augmente encore l’anxiété sociale etc.... ?

    Un des symptômes caractéristiques de l’anxiété sociale est le rougissement ou éreuthophobie. Le déclenchement en est parfois absurde, sans que le sujet soit directement concerné par la situation (si on parle d’un méfait, par exemple, il rougit comme s’il était coupable). Dans certains cas, le rougissement peut même survenir lorsque la personne est seule. Il suffit qu’elle songe à une situation passée où elle a pu ressentir de la gêne ou bien à une démarche à venir qui lui en procure par avance.

    La crainte du regard porté sur ces manifestations est une constante des états d’anxiété sociale. Elle peut tourner à l’obsession et suffire à elle seule à déclencher l’anxiété, dans une spirale infernale. C’est "la peur de la peur". C’est ce que les comportementalistes appellent un conditionnement négatif : une circonstance donnée (situation sociale) est associée à des sensations désagréables, dites "aversives" (manifestations physiques d’angoisse) et est donc évitée par la suite.

    D’où viennent l’ensemble des manifestations physiques de l’anxiété sociale ?

    Lorsqu’on est exposé à une situation stressante, l’organisme déclenche la sécrétion dans le corps de diverses substances chimiques et hormonales, comme l’adrénaline. Il en résulte que le coeur s’accélère, la respiration devient plus rapide, les vaisseaux sanguins se dilatent pour mieux irriguer les muscles qui se contractent. En fait, nous sommes prêts à agir physiquement. Lorsque les situations stressantes étaient des dangers physiques chez nos ancêtres, cette réaction préparait essentiellement la fuite ou le combat. De nos jours, l’homme est confronté à des situations menaçantes plus symboliques que physiques et nos réactions d’alerte non seulement ne nous servent à rien mais représentent un facteur déstabilisant.

    Pourtant, dans certains cas, certains comédiens ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils sont stressés et certains sportifs montre que les meilleures performances sont obtenues par le cocktail suivant  : haut niveau de confiance en soi, forte anxiété physique et pensées anxieuses. Leurs réactions d’émotivité ont rempli leur fonction : les préparer à agir efficacement.

    Autrement dit, la manière dont l’individu perçoit et gère ses manifestations d’émotivité peut dynamiser ou au contraire paralyser sa performance.

    De nos jours où le self-control est de rigueur, l’émotivité dans une situation sociale risque d’être aussitôt assimilée à une déficience générale de l’individu.

    L’ensemble de ces perturbations émotionnelles entraîne des manifestations psychologiques et comportementales d’anxiété sociale.

    Ø Maladresse à communiquer.
    Ø Tendance à éviter ou à fuir les situations redoutées.
    Ø Recours à des comportements relationnels inadéquats, trop inhibés ou trop agressifs.
    Ø ...

    La désorganisation des capacités relationnelles comporte deux principales tendances :

    1. une tendance à l’accélération et à la fébrilité,
    2. une tendance à la sidération et au ralentissement,

    leur superposition fréquente entraînant la gaucherie.

    L’humour systématique, sur le mode de l’autodérision, rentre aussi dans cette catégorie de comportements. Cela permet d’entrer tout de même en contact avec autrui, mais en évitant une trop grande proximité, en esquivant tout jugement critique ou du moins en brouillant considérablement les pistes pour se montrer insaisissable et impalpable.

    Psychologiquement, l’anxiété sociale est associée à tout un ensemble de perceptions spécifiques de soi-même et du monde environnant . Cet ensemble de pensées est étudié en détail par la psychologie cognitive. La psychanalyse s’attache surtout au « pourquoi » des problèmes ; le cognitivisme, lui, cherche plutôt à répondre à la question du « comment ».

    Qu’est-ce qu’une cognition ? C’est tout simplement une pensée. Les cognitions correspondent à une sorte de monologue intérieur de l’individu, d’où le nom qui leur est parfois donné d’auto-verbalisations. Elles sont d’installation quasi réflexe en réponse à certaines situations redoutées. Elle s’imposent de manière plus ou moins consciente comme des quasi-certitudes et non comme les évaluations hypothétiques qu’elles sont. Elles finissent par caractériser un style habituel de penser en réaction à certaines situations.

    Ces pensées prennent trois directions :
    Ø le propre comportement de la personne ex. :“ma voix n’est pas assez assurée”
    Ø ce que peuvent se dire ses interlocuteurs “ils voient bien que je ne suis pas à l’aise pour parler en public”
    Ø ce qu’ils risquent de faire “ils vont me poser une question à laquelle je ne saurai pas répondre"

    L’anxiété sociale est souvent associée au regard négatif qu’on porte sur soi et ses performances, elle est corrélée à une estime de soi basse. Une estime de soi basse dans l’enfance est souvent corrélée à une anxiété sociale dans l’adolescence et à l’âge adulte. Du coup, les anxieux sociaux tendent à se fixer des critères de performance particulièrement élevés. Les avis extérieurs sont souvent beaucoup moins négatifs que ceux de l’anxieux social mais ce dernier les écoute peu et n’y croit pas ; il peut même les percevoir négativement.

    La crainte des réactions hostiles est une contante des cognitions associées à l’anxiété sociale.

    L’anxiété sociale est souvent une anxiété d’anticipation.
    “ Invité à un cocktail, notre anxieux veut s’approcher du buffet pour prendre un verre. A ce moment, son esprit se met à imaginer le pire :
    - si je prends un verre je vais trembler
    - si je tremble, les gens vont me regarder
    - s’ils me regardent je sens que je vais renverser le verre...”.

    Notre anxieux risque de se retrouver assez rapidement dans une situation désagréable qui lui confirmera ses prédictions. Les psychologues décrivent ce phénomène sous le terme de “prophéties auto-réalisées”.

    Les cognitions anticipatoires s’agencent systématiquement dans le cadre de véritables scénarios catastrophes à l’intérieur desquels s’enchaînent les pires hypothèses. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces scénarios catastrophes virtuels résistent à l’épreuve des faits qui sont bien sur rarement aussi terribles que prévus et les cognitions anticipatoires ont beau se trouver régulièrement démenties, elles n’en continuent pas moins de se reproduire systématiquement.

    Tout commence donc par une anticipation anxieuse mais ne s’arrête pas là. Une fois en situation, le mode de pensée du sujet anxieux est très spécifique. Deux caractéristiques prédominent :

    - une désorganisation des capacités de réflexion et d’analyse
    - une hypervigilance vis-à-vis de l’environnement externe ou de ses propres manifestations physiques (rougissement, tremblement etc...).

    Après coup le sujet revoit la situation en se concentrant sur les problèmes réels ou imaginaires rencontrés et se repasse inlassablement le film des erreurs réelles ou imaginaires commises.

    “ Notre anxieux revoit sans arrêt la scène en se demandant ce qu’il aurait dû faire ou ne pas faire, et plus il la revoît, plus il découvre de nouvelles erreurs ...”

    Cette rumination douloureuse des erreurs présumées est particulièrement néfaste puisqu’elle est partiale, comme un procès sans avocat de la défense !.

    “Notre anxieux conclut : je suis nul”

    La vision négative de soi se trouve ainsi à chaque fois renforcée.

    Etre préoccupé par ce que les autres pensent de nous est une caractéristique fondamentale de la nature humaine, sans doute en partie innée. Elle permet à l’évidence de vivre en groupe et de se socialiser. Le problème de l’anxieux social c’est qu’il en est préoccupé de manière constante. A l’opposé des anxieux sociaux, les psychologues décrivent certaines personnalités dites psychopathes, peu sensibles au jugement des autres et peu à même de construire une vie sociale et relationnelle satisfaisante.

     

    2 EME PARTIE : DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE ?

    Il semble qu’il faille distinguer quatre grandes formes d’anxiété sociale :

      Anxiété bénigne, normale Anxiété sévère, pathologique
    Anxiété liée à une situation précise Trac Phobie sociale
    Anxiété généralisée à plusieurs situations Timidité Personnalité évitante

    Le trac :

    C’est une sensation d’anxiété intense mais passagère, limitée à une situation et à un moment donnés. C’est vraisemblablement une des sensations les plus universelles qui soient.

    Le “traqueur” se révèle anxieux avant l’action redoutée tandis qu’une fois qu’il se lance, la sensation de stress n’est pas plus importante que celle d’un sujet “normal” avec qui on le compare dans la même condition.

    L’intensité de cette anxiété anticipatoire explique sans doute que le trac entraîne certaines formes de fuite en avant : on se jette à l’eau pour affronter l’objet de ses craintes.

    On a remarqué que ce type d’anxiété sociale était un ingrédient de certains dysfonctionnements sexuels, comme l’impuissance masculine, qui relève souvent d’une anxiété de performance : nécessité perçue de fournir une prestation satisfaisante pour l’autre, nécessité d’accepter une certaine dose d’intimité, sensation d’être jugé...Ces manifestations parfois pittoresques peuvent entraîner souffrance et handicap. La frontière entre le bénin et le pathologique est floue.

    La timidité :

    Le terme “timide” recouvre des réalités très différentes. Si la timidité désigne toutes les formes d’embarras qu’il est possible de ressentir en présence d’autrui, il est pourtant préférable de réserver cette appellation à un type particulier d’anxiété sociale.

    La timidité renvoie à la double existence d’un malaise intérieur et d’une maladresse extérieure en présence d’autrui. La timidité est chronique et durable.

    Le timide redoute en particulier les premières fois et développe une façon d’être marquée par l’inhibition dans un grand nombre de situations sociales. Il s’adapte souvent bien ensuite. C’est précisément l’inverse qui se produit dans les formes pathologiques d’anxiété sociale. Les timides se comportent tout à fait normalement dans un milieu qui leur est familier. C’est pourquoi certains enfants ou certaines personnes sont timides à l’insu de leur entourage proche.

    Finalement, au quotidien, les sujets timides connaissent des difficultés dans deux grands types de situations :
    - toutes les fois où ils doivent prendre une initiative relationnelle
    - toutes les fois où ils ont à s’impliquer personnellement.

    Les qualités du timide sont nombreuses :

    Sa tendance à rester en retrait fait souvent de lui quelqu’un de particulièrement observateur et attentif à autrui. Son souci de dépister chez ses interlocuteurs le moindre signe d’agacement ou de tension en fait un bon lecteur des états d’âme d’autrui. Son désir d’être aimé et apprécié en fait une personne attentive aux besoins des autres, souvent prête à se dévouer.

    Les traits qui vont de pair avec la timidité recoupent ce que l’on considère traditionnellement comme des manières d’être féminines : douceur, sollicitude, pudeur, réserve ... Notre société trouve volontiers du charme aux femmes timides mais ne valorise guère la timidité masculine.

    La timidité peut gêner considérablement. Le domaine sentimental, mais aussi la vie sociale et professionnelle sont marqués par des occasions perdues. La timidité conduit souvent à la solitude. Elle semble corrélée à de plus grands risques de complications psychologiques telles que la dépression ou l’utilisation d’alcool ou de drogues.

    De façon générale, il semble que l’apparition de la timidité soit assez précoce dans l’enfance ou même la petite enfance. Il est fréquent qu’elle puisse s’amender spontanément grâce au sport, au développement d’un don, à la faveur de rencontres, d’expériences, de moments particuliers. Les récits de personnes racontant comment elles ont dépassé leur timidité sont nombreux.

    La personnalité évitante

    Dans le cas de la personnalité évitante, c’est la personnalité tout entière, la manière d’être, de penser et d’agir qui est affectée par la peur des autres.

    L’ingéniosité de la personnalité évitante est sans limites dès qu’il s’agit de se dérober à un danger présumé (toute réponse à une demande implique d’avoir auparavant attentivement étudié si la situation ne cache pas des dangers occultes).

    La personnalité évitante cherche aussi à rationaliser son attitude : au lieu de porter un regard critique sur elle-même, elle préfère élaborer en permanence des explications, de bons alibis pour prouver le bien-fondé « objectif » de son attitude et éviter de dire « ça me fait peur  ». Le vrai problème finit par être « oublié  » et par être attribué à d’autre raisons d’où parfois une vision du monde pleine de rancoeur, d’amertume et de misanthropie (misanthrope : qui est peu sociable, qui aime la solitude).

    Les justifications perpétuelles sont le prix à payer par les personnalités évitantes pour pouvoir éviter les situations angoissantes et pour rester dans leur petit monde routinier et protégé. Tout s’écroule évidemment lorsque le système protecteur qui s’est petit à petit mis en place présente une faille ou lorsqu’il ne fonctionne plus.

    La phobie sociale

    La phobie sociale est sans doute la plus invalidante des différentes formes d’anxiété sociale.

    Une phobie est une peur intense, irraisonnée, incontrôlable (identique à celle que provoquerait une situation de stress majeur comme être pris en otage). Dès que le phobique social doit affronter le regard forcément critique d’autrui, aucun échange (chaque phrase, chaque pas, chaque regard, chaque poignée de main), n’est anodin.

    La personne atteinte de phobie sociale reconnaît la nature excessive ou irrationnelle de ses craintes. Elle vit sa phobie dans la honte (je ne suis pas normale...) et dans la résignation (je suis comme ça...).

    L’intensité de la réaction anxieuse et les stratégies d’évitement distinguent la simple appréhension de la phobie véritable.Chaque fois que c’est possible le phobique fuit !. Le phobique finit même par croire que, s’il n’avait pas évité la situation, le pire se serait certainement produit. Ce mécanisme joue le rôle de ce que l’on appelle un « renforcement négatif » : le comportement est «  renforcé », il a plus de chance d’apparaître, chaque fois qu’il permet d’éviter des sensations désagréables.

    Nombre de phobiques sociaux donnent l’impression d’être froids et distants, préférant passer pour des snobs antipathiques que pour des anxieux maladifs. Certains tentent de masquer leur trouble même à leurs proches par des comportements agressifs.

    On peut distinguer des formes spécifiques de phobie sociale (impossible par exemple, de manger, d’écrire, de déambuler, de travailler sous le regard d’autrui, d’uriner dans des toilettes publiques ou de prendre la parole devant un groupe) et des formes extrêmes, qu’on pourrait appeler des « panphobies » littéralement « peur de tout ». Ce sont toutes les interactions sociales qui posent problème, ce qui implique un mode de vie très astreignant au prix évidemment d’une grande souffrance psychologique.

    La phobie sociale concerne près de 2 à 4% de la population générale. Des études ont confirmé ce chiffre en France, soit, pour cinquante-cinq millions de français, un à deux millions de personnes, l’équivalent d’une ville comme Lyon ou Marseille. Cette maladie représenterait la troisième pathologie mentale, après la dépression et l’alcoolisme. Contrairement à d’autres modes de souffrance psychologique, la phobie sociale ne conduit pas à des comportements spectaculaires, elle ne dérange pas. La phobie sociale passe inaperçue, à l’image des enfants trop sages et discrets, dont on finit par réaliser qu’ils ne sont pas sages mais déprimés, qu’ils ne sont pas discrets mais inhibés.

    La phobie sociale est souvent à l’origine de complications psychologiques. Beaucoup de buveurs sont des phobiques sociaux. Enfin, dans 50 à 70% des cas la phobie sociale se complique de dépression, ce qui est assez logique.

     

    3 EME PARTIE : MAIS POURQUOI DONC AVONS-NOUS PEUR DES AUTRES ?

    Tous les anxieux sociaux le disent : ils ne comprennent pas ce qui leur arrive et cela est d’ailleurs souvent lié au sentiment de n’être pas comme les autres. Que se passe-t-il donc dans leur tête ?

    Le cerveau est un organe complexe. Sa première fonction est de recevoir les informations que recueillent sans cesse tous nos organes sensoriels. Notre cerveau ne se contente pas de capter les signaux qu’il reçoit : il les trie. Nous n’avons pas conscience d’un certain nombre d’informations que nos sens ont pourtant enregistrées. La sélection des informations qu’opère notre cerveau s’effectue de manière extrêmement complexe. Elle dépend de notre personnalité, de nos valeurs, de nos expériences passées mais aussi de notre état émotionnel de l’instant.

    Ainsi si nous sommes inquiets à l’idée de ne pouvoir obtenir une table dans ce restaurant qu’on nous a si fortement recommandé, il est sûr que le fait que la plupart des tables soient occupées est l’information que notre cerveau place en première position et nous en avons plus conscience que le décor ou la musique de fond. Parfois cependant, une information sans rapport avec notre état d’esprit présent peut s’imposer avec force. C’est là qu’entrent en jeu les souvenirs enfouis dans la mémoire de notre cerveau, réveillés par une stimulation présente, comme peut-être le parfum d’une personne qui nous rappelle une rencontre passée.

    Le travail de notre cerveau ne s’arrête pas là. Les informations qu’il a arbitrairement sélectionnées déclenchent en nous une signification. Face aux tables occupées du restaurant, nous commençons à regretter de ne pas avoir réservé... Des pensées automatiques, des cognitions, surgissent spontanément à notre esprit une fois que celui-ci est stimulé par une information perçue. Ces pensées s’imposent à notre conscience avec plus ou moins de force.

    Dans une même situation, des personnes différentes mais aussi la même personne à des moments différents peuvent avoir des cognitions différentes.

    Confronté à une situation délicate pour lui, l’anxieux social procède immédiatement et systématiquement, souvent de manière plus ou moins inconsciente, à une double évaluation des menaces qui se présentent et des ressources dont il dispose pour l’affronter.

    Non seulement le fait de ruminer ces questions accroît son anxiété, mais il tend également à surévaluer les risques qu’il court en même temps qu’il sous-évalue ses propres capacités.

    La mise en évidence d’erreurs permanentes de logique est largement utilisée dans les psychothérapies cognitives de l’anxiété sociale.

    Les anxieux sociaux personnalisent et s’attribuent exagérément la responsabilité des évènements qu’ils rencontrent.

    La maximalisation du négatif s’il échoue et la minimalisation du positif s’il réussit sont des erreurs fréquemment mises en évidence chez l’anxieux social qui de toute façon a tendance à amplifier les évènements négatifs et à sous-estimer ceux qui sont positifs.

    La généralisation est une autre manière de raisonner de l’anxieux social. Les cognitions qui surgissent dans son esprit abondent en « toujours » et en « jamais », en « personne » et en « tout le monde ». Cette absence de nuances se retrouve aussi dans un autre type d’erreur qui consiste à appréhender la réalité de manière dichotomique (qui se subdivise de deux en deux) soit, en bien et en mal, en bon et en mauvais, en réussite ou en échec. Voir tout en noir ou tout en blanc, en ignorant tous les dégradés de gris caractérise quelquefois l’anxieux social.

    Autrement dit, si quelqu’un ressent de l’anxiété, c’est b el et bien parce qu’il a des pensées particulières dans une situation sociale. Ces pensées pénibles ne sont pas la conséquence de l’anxiété sociale comme on l’a longtemps cru mais elles en sont la cause principale dont découlent toutes les autres manifestations.

    Pourtant, les psychologues cognitivistes se sont très vite aperçus que ces pensées automatiques n’étaient que la partie visible de l’iceberg.

    Au fond de notre psychisme sont tapies des croyances et des valeurs que nous avons construites sur nous-mêmes et sur les autres.

    Les plus fréquentes chez l’anxieux social sont :
    - Le besoin de reconnaissance et d’approbation par autrui : «  je ne dois pas contrarier... »
    - La crainte de ne pouvoir obtenir ou même mériter l’estime d’autrui : « Je dois être aimé ... »
    - Une vision trop élevée des critères à atteindre pour pouvoir s’estimer performant : « Il faut réussir pour être crédible aux yeux des autres ... »

    Ces règles personnelles prennent la forme de messages impératifs  : il faut que ...je dois ...

    Ces schémas cognitifs, dans la plupart des cas inconscients, représentent le squelette de l’organisation psychique car ils sont particulièrement rigides et stables. Ils sont difficiles à modifier.

    Ces schémas se sont construits à partir des expériences et de l’histoire personnelles. Ils n’en véhiculent pas moins un certain nombre de valeurs de leur époque, de l’environnement social. Les proverbes fournissent à cet égard un bon répertoire des croyances collectives. Le célèbre « l’homme est un loup pour l’homme » évoque les schémas de danger présents dans l’anxiété sociale.

    Comment expliquer que ces croyances ne changent pas malgré les démentis que peut lui apporter la réalité ?

    Chaque fois que nous sommes confrontés à une situation entrant en résonance avec nos croyances profondes, notre tendance est à l’assimilation : nous cherchons à l’accorder avec notre croyance.

    La tendance inverse appelée accommodation, qui oblige l’individu à réaménager sa croyance lorsqu’elle n’est pas conforme à la réalité rencontrée est beaucoup moins fréquente.

    En simplifiant, on peut dire que les processus d’assimilation sont ceux qui font fonctionner en permanence l’anxieux social et qui entretiennent son problème alors que l’accomodation est la démarche qui est privilégiée lors d’un travail de psychothérapie.

    La question des origines des diverses formes d’anxiété sociale est particulièrement complexe et tous les travaux qui ont été conduits soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses claires.

    Comme pour la plupart des problèmes psychologiques, l’inné et l’acquis s’imbriquent de manière quasi inextricable. L’anxiété sociale est ce qu’on appelle un trouble plurifactoriel aux origines :
    - biologiques (éventuellement hériditaires)
    - psychodynamiques (résultant de l’histoire personnelle du sujet)
    - sociologiques (liées au milieu, à l’époque et à la culture environnante).

    Ces différents facteurs peuvent intervenir à des degrés divers.

    Comme dans toutes les autres affections d’ordre psychologique, la question demeure entière :

    Même s’il est possible d’identifier des dysfonctionnements biologiques, ceux-ci sont-ils causes ou conséquences du trouble  ?

    Un des chercheurs les plus avancés en la matière, Jérôme Kagan, de l’université de Harvard, soutient qu’environ 15 à 20 % des enfants, de race blanche, naissent avec un profil neurochimique les prédisposant aux manifestations d’inhibition comportementale d’anxiété sociale associées à la timidité. Il dit : « En allant pour la première fois à la petite école, un timide éprouve le même stress qu’un gladiateur dans l’arène face aux lions  ».

    Pour lui, ces enfants auraient hérité dès la naissance, sous le fait d’influences génétiques ou prénatales, d’une amydgale cérébrale particulièrement réactive à certaines situations stressantes.

    Dans une vaste étude menée sur des jumelles, la part génétique dans l’installation de la phobie sociale a pu être évaluée à environ 30 à 40 % : c’est important, mais cela laisse tout de même une assez belle place à l’environnement, aux renforcements éducatifs et aux facteurs familiaux !.

    Les bases génétiques éventuelles de l’anxiété sociale ont pu être mises en évidence chez les singes rhésus où l’on a remarqué l’existence de lignées familiales d’anxieux sociaux.

    Selon certains chercheurs, certaines phobies qui semblent être très fréquentes (peur de certains animaux) correspondraient , selon un système de défense programmé, à des peurs indispensables, au moins à une époque donnée, à la survie de l’espèce humaine. Un sujet qui n’aurait pas eu spontanément, de manière génétique, un fond anxieux aurait alors eu des chances de survie moindres que ses congénères.

    Pour certains auteurs, l’anxiété sociale et ses implications comportementales (dialectique dominance-inhibition, évitements, échappements ...) se sont avérées un puissant facteur de maintien de la cohésion des groupes humains, évitant les conflits permanents pour le pouvoir. Pour eux, tout être humain perçoit son environnement relationnel au travers de deux systèmes de lecture :
    Ø les signaux de danger
    Ø les signaux de sécurité

    Vers l’âge de huit à dix mois, le petit enfant présente des réactions anxieuses normales lorsqu’il est séparé d’avec sa mère ou lorsqu’il est en présence d’un adulte étranger. C’est à cet âge que les capacités de locomotion et de déplacement de l’enfant se développent. Ce type d’anxiété pourrait avoir pour fonction de préserver l’enfant d’un excès d’intrépidité. Les signaux de sécurité seraient associés à la présence de la mère, tandis que les signaux de danger seraient activés par l’inconnu.

    Faisant la synthèse de nombreux travaux, beaucoup d’auteurs pensent actuellement que, à partir d’une prédisposition constitutionnelle qui s’exprimerait dès les premiers mois de la vie par une forte réactivité aux situations inhabituelles, des manifestations d’inhibition comportementale pourraient apparaître vers l’âge de deux ans qui évolueraient ensuite vers l’anxiété sociale, puis la phobie sociale.

    Il faut cependant signaler que, dans ces études, la possibilité de passer de comportements inhibés à des comportements non inhibés est supérieure à la possibilité inverse. Dans une étude récente, près de deux cents enfants représentatifs de la population urbaine suédoise furent suivis et évalués entre l’âge de trois mois et celui de seize ans. Une inhibition caractérisée dans les premiers mois de la vie permettait de prédire une inhibition persistante à l’âge de sept ans. En revanche, seules les petites filles très inhibées le restaient jusqu’à l’adolescence, tandis que la corrélation était moins nette pour les garçons. Il semblerait que les garçons anxieux soient fortement encouragés par leur environnement à abandonner leur inhibition, quitte à conserver leur anxiété sociale et à l’exprimer d’autres manières, par l’agressivité ou la fuite en avant.

    Cette étude a aussi montré que les mères qui évaluaient l’inhibition de leurs enfants comme le faisaient les psychologues de l’expérience, étaient moins bonnes observatrices que ces derniers. Très souvent, la timidité ou toute forme d’anxiété sociale n’inquiète pas outre mesure les proches de ces enfants, parents ou enseignants ; elle les arrange et leur simplifie la tâche.

    Une chose est sûre : si l’on examine les parents et l’entourage familial d’adultes ou d’enfants qui présentent de l’anxiété sociale, on retrouve des problèmes psychologiques. L’association enfant inhibé-parent anxieux aurait toutes les chances de déboucher sur des troubles anxieux à l’âge adulte. L’enfant adopte le comportement des parents ou s’imprime d’un mode vie spécifique. Il existe des modes éducatifs pathologiques  : éducation très sévère et dévalorisante, pas d’expression d’émotions, exigence de performances permanentes ...

    Certains évènements, qui parfois n’ont par eux-mêmes qu’un faible caractère traumatique, révèlent une fragilité sous-jacente et favorisent l’éclosion de troubles liés à l’anxiété sociale. Si le traumatisme est suffisamment intense il est possible qu’il soit à lui seul l’élément déclencheur à partir duquel tout un cortège d’angoisses et de comportements perturbés se met en place. Les formes d’anxiété sociale semblent varier d’une culture à l’autre.

    Chez les asiatiques, par exemple, la phobie sociale provient surtout de la crainte de gêner autrui alors que pour les occidentaux, c’est la peur d’être ridicule qui l’emporte. Les caractéristiques sociales permettent peu-être d’expliquer ces différences  : prédominance du collectif et de l’intégration au groupe dans un cas, culte de l’individualité et de l’autonomie dans l’autre.

    En fait, notre société toute entière tournée vers la performance individuelle, la maîtrise de son image, rend plus vulnérable la personne qui a une forme mineure d’anxiété sociale. Un peu à l’image de ce qui s’est passé avec la débilité légère au moment de la scolarisation obligatoire : les débiles légers, jusque là correctement intégrés bien que cantonnés à des tâches simples, se sont soudain trouvés rejetés car incapables d’apprendre à lire et à écrire.

     

    4 ème PARTIE : COMMENT S’EN SORTIR

    LES MEDICAMENTS :

    1. Les psychotropes

    Psychotrope adj. et n.m. : se dit de toute substance qui agit sur le psychisme :
    - psychoanaleptiques ou psychotoniques : stimulant
    - psycholeptique : tranquillisant
    - psychodysleptiques : hallucinogènes

    Le risque est grand d’une dérive dans l’utilisation des psychotropes. Cela ne doit pas conduire à les rejeter en bloc . C’est leur bon usage qu’il convient de développer. Ils peuvent permettre de démarrer un processus de changement personnel et servir de béquille tant que le sujet n’est pas vraiment capable de prendre ce changement en charge, seul.

    Le traitement doit être prescrit par un médecin.
    * Les bénéfices thérapeupeutiques doivent être régulièrement réévalués.
    * Pour empêcher une rechute à l’arrêt du traitement, il doit être associé à un accompagnement psychologique ou à une véritable psychothérapie.

    2. Les bêta-bloquants

    Utilisés au départ en cardiologie pour lutter contre l’hypertension artérielle, l’angine de poitrine etc... mais aussi contre la migraine, leur utilisation en psychiatrie a été progressivement introduite à partir de 1966. Leur appellation vient de leur mode d’action sur de petites zones situées sur divers organes  : les « récepteurs bêta ». C’est là que les hormones du stress comme l’adrénaline agissent. Les bêta-bloquants empêchent ces hormones de développer leurs effets. Attention cependant, les bêta-bloquants même s’ils n’induisent pas de dépendance, ne doivent pas être maniés à la légère. Ils comportent un certain nombre de contre-indications : certains troubles cardiaques, l’asthme, l’ulcère d’estomac etc...

    Ils sont indiqués lorsque l’anxiété sociale est une anxiété de performance, c’est-à-dire déclenchée par une situation bien précise, limitée dans le temps et l’espace et dont les symptômes physiques sont importants et gênants. Ils sont peu efficaces dans les cas de phobies sociales généralisées, de personnalité évitante, d’appréhension sans trac.

    On observe souvent que l’utilisation de ces médicaments diminue progressivement avec le temps. C’est sans doute dû au fait que, s’exposant plus volontiers aux situations qui rendent nécessaires ce traitement, les personnes apprennent petit à petit à mieux y faire face.

    3. Les tranquillisants ou benzodiazépines

    Ils sont remarquablement efficaces pour réduire les manifestations psychologiques de l’anxiété et certaines de ses manifestations physiques, notamment la tension musculaire. L’anxieux social qui prend des tranquillisants se sent mieux mais persiste par exemple dans ses stratégies d’évitement. Le médicament peut même renforcer cette tendance et attiser l’anxiété au moment de l’arrêt du traitement : c’est ce qu’on appelle “l’effet rebond”. De plus, les tranquillisants entraîne une certaine dépendance et leur effet s’atténue avec le temps.

    4. Les antidépresseurs

    Certaines catégories d’antidépresseurs, en particulier les IMAO (inhibiteurs de la mono-amine-oxydase, petite enzyme cérébrale impliquée dans la régulation de l’humeur et donc dans la dépression) semblent particulièrement adaptés au traitement des formes sévères d’anxiété sociale. Ils s’agit de médicaments puissants qui ont des effets secondaires. Pour être efficace, leur prescription doit être prolongée sur plusieurs mois. A l’arrêt du médicament, le taux de rechute est assez important. Ce type de traitement ne peut dispenser d’un suivi psychologique.

    LES THERAPIES COGNITIVO-COMPORTEMENTALES

    Les thérapies cognitives et comportementales sont les psychothérapies les plus utilisées dans la prise en charge de l’anxiété sociale. Leur objectif est d’intervenir de manière directe sur les modes de pensée et les comportements des patients. On se concentre plutôt sur les mécanismes, sur la question du quand et du comment.

    Contrairement à la psychanalyse où le thérapeute observe une neutralité bienveillante, les thérapies cognitives et comportementales supposent une grande implication de la part du thérapeute qui apprend à la personne suffisamment motivée pour s’engager dans une démarche de changement, le maniement « d’outils  » qu’elle doit pouvoir continuer à utiliser seule afin de penser autrement pour mieux communiquer et ne pas fuir.

    La tendance des anxieux sociaux à fuir est une constante et devient vite un automatisme. L’une des premières étapes pour s’en sortir consiste donc à s’habituer progressivement à affronter la situation redoutée. Il existe, pour faciliter ce genre de processus, des techniques très simples, dites d’exposition.

     

    PRINCIPALES ETAPES DES TECHNIQUES D’EXPOSITION
    Percevoir les difficultés en termes de situations-problèmes « Dans quelles situations m’arrive-t-il de ressentir de l’anxiété sociale ? »
    Etablir une liste de ces situations « Quelles sont ces situations ? »
    Hiérarchiser les situations « Quelles sont les plus angoissantes, quelles sont celles que j’ai tendance à éviter ? »
    Préparer l’affrontement avec les situations « Que dois-je maîtriser pour affronter ces situations  ? »
    Planifier l’affrontement « Dans quel ordre et à quels moments vais-je les affronter  ? »
    Exposition « Je me jette à l’eau »
    Evaluation des résultats « Qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui est à revoir ? »
    Généralisation « Après plusieurs succès, j’aborde des situations auxquelles je ne suis pas préparé. »

    Hiérarchiser ces situations en fonction du degré d’angoisse et de l’importance des évitements qu’elles déclenchent.

    Le chiffre 0 correspond à une absence d’angoisse et à une situation jamais évitée.
    Le chiffre 8 à une angoisse proche de la crise de panique et à un évitement complet.
    4 correspond à une anxiété significative mais supportable et à une tendance à éviter.

    Exemple :

    Situations-problèmes Anxiété (de 0 à 8) Evitement (de 0 à 8)
    Prendre la parole plusieurs minute lors d’une assemblée 7 8
    Accepter une invitation à dîner chez de nouveaux collègues 6 7

     

     

    MIEUX COMMUNIQUER
    0 = très facile 8 = très difficile Avec des proches Avec des personnes de connaissance Avec des inconnus Avec des personnes intimidantes
    Exprimer des messages positifs        
    Recevoir des messages positifs        
    Faire des demandes        
    Etc        

     

    PENSER AUTREMENT
    Agir sur les cognitions : Mise en évidence 1. l’auto-observation
    2. le dialogue socratique ( fondé sur la discussion, améne l’interlocuteur à découvrir la vérité qu’il porte en lui).
    Agir sur les cognitions : Modification 1. les cognitions alternatives
    2. les épreuves de la réalité
    Agir sur les schémas cognitifs : Mise en évidence 1. l’auto-observation
    2. les scénarios-catastrophes
    Agir sur les schémas cognitifs : Modification 1. le pour et le contre
    2. la renégociation du contrat
    (L’exemple suivant est lié à un jeune médecin)
    Situations Gêne Cognitions
    J’ai tremblé en prenant la tension artérielle de mon patient 6/8 « J’ai eu l’air idiot »
    « Il l’a sûrement remarqué »
    « Il ne va pas me faire confiance »
    J’ai dû chercher la posologie d’un
    antibiotique courant, devant lui
    4/8 « Je devrais la connaître »
    « ce n’est pas normal »
    « Jamais un vrai médecin ne ferait ça »
         
    Pensées alternatives Réévaluation de la gêne
    « Il ne l’a peut-être même pas remarqué »
    « Il sait bien que je n’ai pas une grande expérience »
    « Ce sont ses chiffres de tension habituels, il n’y a pas de raison qu’il les mette en doute »
    2
    « Ca peut arriver à tout le monde »
    « Il y a des milliers de médicaments, on ne peut pas tous les connaître »
    « Les vieux médecins en connaissent plus que moi, c’est logique, ils font ce boulot depuis des années »
    2

    Pour changer les choses, il faut sortir du constat global du type “je suis timide” pour se demander où, quand, avec qui, en faisant quoi etc... et établir une sorte de”hit-parade” de son anxiété sociale. Cette phase est destinée à préparer l’exposition qui commencera par des situations relativement peu angoissantes, se réservant les plus difficiles pour la fin de la thérapie. Après un certain temps de pratique des expositions programmées et planifiées, on observe habituellement une généralisation, c’est-à-dire une extension des expositions spontanées à d’autres situations que celles abordées en thérapie.

    L’anxiétésocialeestassociéeà ce qu’on peut appeler un déficit en comportements relationnels.
    Heureusement, il est toujours possible de les modifieretdeles réapprendre. Il existe trois
    principaux types de comportement relationnel :
    - agressif (plusou moins programmé donc d’apprentissage facile)
    - inhibé idem
    - affirmé (apprentissage difficile)

    Mieux communiquer c’est être capable de s’affirmer, c’est pouvoir exprimer ce que l’on pense, souhaite ou ressent de la manière la plus claire et directe possible, tout en respectant l’autre. Contrairement aux comportements agressif ou inhibé, le comportement affirmé est adapté à un très large éventail de situations, en tout cas à toutes celles qu’on rencontre couramment.

    L’affirmation de soi est aujourd’hui une technique d’entraînement aux compétences sociales qui a largement débordé le champ des psychothérapies pour gagner celui de la formation continue en entreprise et celui du développement personnel.

    Si des troubles de la personnalité sont associés au problème d’affirmation de soi, une prise en charge individuelle est nécessaire. L’entraînement aux compétences sociales est associé à un travail cognitif.

    Penser autrement, tel est l’objectif des thérapies cognitives. Il s’agit :
    - d’accepter comment on aurait inconsciemment passé contrat avec des schémas à une période de la vie où cela s’avérait nécessaire
    - d’apprendre à mieux observer son fonctionnement mental, ce que l’on se dit, de quelle façon on déforme parfois les faits
    - de voir comment attentes et croyances peuvent être rigides ou disproportionnées.

    Dans la plupart des thérapies cognitives et comportementales de l’anxiété sociale, les trois ingrédients que sont l’exposition, l’entraînement aux compétences sociales et la restructuration cognitive sont utilisés de manière conjointe, même si en fonction des symptômes présentés, l’une ou l’autre de ces techniques peut-être mise en avant. La démarche des thérapies cognitives et comportementales est simple, logique, pragmatique. Elle prône des principes de bons sens comme d’affronter peu à peu ce que l’on redoute, de s’entraîner à communiquer, de modifier son point de vue sur la vie et souligne l’importance de les appliquer de façon systématique et structurée.

    Nombre de personnes que les “psy” ne verront jamais ont ainsi réglé leur anxiété sociale d’elle-mêmes ou avec l’aide de proches, voire à l’issue d’évènements précis, de lectures ou de rencontres.

    Beaucoup de travaux ont d’ailleurs démontré que des interventions psychologiques efficaces peuvent être prodiguées de la part de professionnels de santé moins diplômés que des psychologues ou psychiatres. En matière d’anxiété sociale, lorsque l’on aide quelqu’un à mieux communiquer et échanger avec les autres, on modifie profondément le regard que cette personne porte sur elle-même.


     

    Commentaires personnels

    Soucieux de donner une approche simple mais complète de toutes les difficultés ou maladies liées à l’anxiété sociale, les auteurs, tous deux psychiatres, n’ont de cesse de démontrer par tous les schémas possibles que dès qu’il y a altération de la qualité de vie, les formes mineures d’anxiété sociales sont de “vraies” pathologies par la souffrance qu’elles sont susceptibles d’engendrer. Leur désir d’aider l’anxieux social est toujours sous-jacent.

    J’apprécie :

    - leur grande humilité. Psychiatres, ils n’hésitent pas à remettre en cause certains principes liés à leur profession :
    “ Il est vrai que dans notre pays paraître intelligent consiste encore trop souvent à utiliser des mots savants et à expliquer que tout est beaucoup plus compliqué qu’il ne semble. Ce qui est simple serait faux et donc, en matière de thérapie inefficace ;...”
    “ Il existe de la part de certains une réticence plus ou moins ouverte à la “vulgarisation” de la psychothérapie”

    - leur regard critique sur notre organisation sociale :
    “ Comme presque tout ce qui est important dans la vie, l’art d’être à l’aise avec les
    autres n’est pas enseigné à l’école ...”.

    Conclusion

    Vu l’existence de solutions efficaces, les conséquences de l’anxiété sociale non reconnue et non prise en charge apparaissent inacceptables.

    Prendre conscience de son trouble, en comprendre les mécanismes intimes, c’est déjà ne plus en être totalement victime. Connaître les stratégies thérapeutiques efficaces utilisées par les spécialistes, c’est commencer à mieux les maîtriser. S’engager dans la résolution de son anxiété et de ses difficultés relationnelles, c’est enfin s’ouvrir à une existence plus gratifiante.

     


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